LE QUARTIER DE L'OPERA (1900-1910)

 

 

       Jusqu’au début du XXe siècle, le paisible et pittoresque quartier s’étirant de la place du Théâtre à l'ancien lycée Faidherbe (actuel collège Carnot) renfermait de nombreuses rues anciennes et très animées. C’est ainsi que l’on rejoignait l’ancien lycée Impérial par la rue des Oyers après avoir emprunté très temporairement la mystérieuse place des Guinguants, dont seul le fabricant de bouchons SIX avait le privilège d’en porter l’adresse.

 

Mais en 1906, une campagne insolite vise à relier Lille à Roubaix et Tourcoing au moyen d'un boulevard majestueux (actuels boulevard Carnot puis avenue de la République), doté de monuments d'envergure à son entrée, c'est à dire place du Théâtre. Le tracé du nouveau boulevard emprunte inexorablement celui des rues du vieux quartier (voir la rubrique "Grand Boulevard (1907-1914)").

 

Le projet dans son ensemble prévoyait donc: le dégagement de la place du Théâtre avec le percement du boulevard Carnot, la destruction du rang du Beauregard (maisons séparant la place du Théâtre de la Grand'Place) et la construction de deux bâtiments publics majeurs: la Bourse de Commerce et l’Opéra. La Grand’Place se voyait alors réunir deux futurs symboles essentiels du  pouvoir – Culture et Commerce – et rasseyait par la même occasion sa position de cœur de cité.

 

Si le boulevard a pu être percé, les rues ancienne détruites et les bâtiments édifiés, le programme global n’a jamais pu être réalisé, notamment à cause de la Grande Guerre. A l’heure actuelle, seuls les documents anciens permettent de donner un aperçu du quartier d'avant 1906. Quant au rang du Beauregard, il continue (heureusement !) de délimiter les deux places.

 

 

 

I. La disparition du théâtre municipal Lequeux

 

Les prémices d’un changement radical d’urbanisme débutent dans la nuit du 5 au 6 avril 1903. En effet, cette date marque la disparition du Théâtre municipal Lequeux, disparaissant dans les flammes pour des raisons encore bien mystérieuses.

 

Le Théâtre avant l’incendie

 

Avant l’incendie, la place porte encore dignement son nom. Les demeures situées sur la place renferment de nombreux commerces.

 

 

Le Théâtre pendant l’incendie

 

L’incendie prend naissance au niveau du péristyle. Les lillois assistent, désemparés, au désastre provoqué par le feu. Quelques heures plus tard, il n’en restera rien.

 

Façade du Théâtre durant l’incendie - La Grande Echelle déployée

 

 

La nouvelle place du Théâtre

 

Dès 1904, la nouvelle place du Théâtre demeure dégagée, mais vide. La rue des Suaires, partant sur la droite, est désormais visible.

 

Rue des Suaires à l’angle de la place du Théâtre

 

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II. Au cœur du quartier

 

Le quartier est constitué de rues pittoresques. Des demeures du XVIIe siècle, richement ornées, se succèdent dans un dédale sans fin.

 

 

La rue des Suaires en 1906

 

 

 

La rue des Suaires part de la place du Théâtre et rejoint la rue de la Clef (au fond à gauche) et la rue des Oyers (au fond à droite). Au milieu de cette intersection, le fabricant de bouchons SIX logeait place des Guinguants.

 

Le lycée Faidherbe vu de la rue des Arts à l’angle de la rue des Oyers

 

A l’extrémité de la rue des Oyers, un petit crochet par la rue des Arts nous donne accès à la rue des Fleurs où se trouve l’une des façades imposantes du lycée Faidherbe. Ce lycée, édifié sur les plans de Charles-César Benvignat, est mal mis en valeur : son aspect monumental est contrarié par une succession de rues étroites que l’on a grossièrement réglularisées pour sa construction.

 

L’architecture de cette œuvre est à rapprocher de celle des Archives municipales et de l’Hôtel de ville. Son inspiration "Renaissance italienne" est particulièrement caractéristique.

  

Façade du lycée Faidherbe donnant sur la rue des Arts

 

Cet autre aperçu du lycée est visible depuis la place des Patiniers et la rue des Arts. Les portes d'entrée sont rigoureusement gardées. 

 

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III. Le début des travaux

 

Dès 1906, ce quartier historique subit d’importantes modifications. La rue des Suaires, du Bois Saint-Etienne, la rue des Oyers ainsi que la place des Guinguants sont progressivement démolies.   

 

 

La rue des Oyers en démolition – Au fond, la rue des Arts encore debout

 

Place des Guinguants

 

Les principaux commerces sont transférés dans des rues voisines qui seront préservées. Un an plus tard, les fondations de la future Chambre de Commerce et de l’Opéra seront déjà creusées.

La place du Théâtre est métamorphosée. Comparativement à ce que l’on pouvait encore observer un an auparavant, l’ancien rang aux Poteries a été détruit. A son emplacement, on peut désormais contempler un Opéra digne des élévations néoclassiques de la seconde moitié du XIXe siècle, bien qu'il fût postérieur à cette période.

 

 

L’ancien rang aux Poteries qui sera remplacé par l’Opéra

 

Opéra et Chambre de Commerce en construction

 

Les chantiers de la Chambre de Commerce sont visibles sur la gauche. La façade visible emprunte approximativement l’ancien tracé de la rue des Suaires.

 

Horloge du beffroi de la future Chambre de Commerce en train d’être posée

 

La Chambre de Commerce est, quant à elle, construite dans la plus pure tradition flamande. La montée du régionalisme architectural se poursuivra d’ailleurs durant les années folles et touchera toutes les catégories artistiques.

Les deux façades sont de style « néo-flamand » - il suffit de comparer l’ensemble aux Hôtels de ville de Bailleul, Hazebrouck ou Gand – et sont reliées entre elles par un élégant beffroi de 75 m de hauteur. A cette date, il s’agit de la construction la plus haute de la capitale des Flandres.

 

Désormais, la place du Théâtre se dote des deux symboles essentiels de la société lilloise : la culture et le commerce. Cet aboutissement permet d’entériner définitivement les rôles à la fois historique, économique et culturels du cœur de la cité, au détriment de la place de la République décidément trop excentrée. 

 

Terminus du tramway « Mongy » - Boulevard Carnot

 

Il faut désormais relier ces institutions de renom aux deux autres grandes cités de la Métropole : Roubaix et Tourcoing (Déjà au XIXe siècle, les deux consœurs s’étaient parées d’Hôtels de ville fastueux, à la hauteur de leur richesse économique).

Les travaux de percement des anciens remparts permettront de relier définitivement Lille à Roubaix et Tourcoing, à l’aide d’un tramway révolutionnaire pour l’époque : le fameux car Mongy, du nom du concepteur, Alfred Louis du même nom (décédé en 1914) (voir la rubrique "Grand Boulevard (1907-1914)").

Sur la carte ci-dessus, on entr’aperçoit la rue de la Clef (sur la gauche), l’ancienne place des Guinguants (immeuble proue visible au premier plan), et l’ancienne rue des Oyers où les lignes de tramways ont été implantées. Au fond à droite enfin, le lycée Faidherbe est désormais dégagé et donne sur un "vrai" boulevard.

 

A la veille du premier conflit mondial, le nouveau quartier de l'opéra se présente donc ainsi:

 

Plan comparatif : avant et après les travaux à la veille du conflit mondial

 

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Une ambition partiellement concrétisée

 

Si les travaux de réaménagement de ce quartier semblent avoir été menés à terme, il convient de rappeler que le projet originel était encore plus ambitieux : destruction du rang du Beauregard, fusion de la Grand’Place avec la place du Théâtre, construction d’un rond-point avec fontaine au milieu de la nouvelle place constituée...

En 1914 cependant, les travaux s’arrêtent en raison du conflit mondial. Pis encore, les premiers bombardements menacent très sérieusement le quartier aménagé. Fort heureusement, les bombes s’arrêtent au pied de l’Opéra et de l’ancienne Bourse. Après la Guerre, les travaux de reconstruction de la rue Faidherbe et des rues environnantes auront permis d’oublier le projet dans sa globalité.

Quelques années après l’armistice, l’Opéra est inauguré, et cette date marquera la fin d’un rêve ambitieux qui voulait faire de la nouvelle place de Lille, la plus belle, la plus grandiose et la plus régionale qui soit.

On en trouve encore les stigmates sur la place du Théâtre et sur le boulevard Carnot, bien que les tramways aient disparu.

 

Mais le rang du Beauregard, récemment restauré, délimite définitivement les deux places, ce qui met un terme à ce projet grandiose mais bien inachevé.

 

P.M